Résultat d’un travail d’envergure porté durant deux ans par l’ANSSI et le Club EBIOS, EBIOS Risk Manager (EBIOS RM) est la nouvelle déclinaison de la méthodologie d’analyse de risque EBIOS.
Bien que les principes fondamentaux d’identification des enjeux, des risques et des actions de remédiation demeurent, la méthode s’illustre par son appel à des scénarios d’attaque complexes tirant partie de vulnérabilités multiples, à la manière d’attaques réelles comme celle contre les systèmes de connexion à SWIFT de la Banque Centrale du Bangladesh en 2016 ou contre Sony Pictures en 2014… Autre évolution majeure, l’apparition d’une analyse approfondie des attaquants potentiels, de l’écosystème et des parties prenantes du périmètre étudié.
Ce changement de posture permet à EBIOS RM de répondre spécifiquement aux problématiques posées par des attaquants toujours plus professionnalisés qui étudieront méthodiquement les vulnérabilités d’une cible ainsi que l’ensemble de son écosystème pour parvenir à leurs fins. Elle vient ainsi remplir une zone de vide dans l’espace des méthodologies d’analyse de risques.
Néanmoins, malgré cette approche réellement innovante et comme nous allons l’étayer ci-dessous, EBIOS RM ne doit pas forcément être considérée comme la nouvelle démarche globale d’analyse des risques mais plutôt comme une nouvelle corde à l’arc méthodologique du RSSI pour traiter les scénarios d’attaque les plus complexes.
S’appuyant sur nos premiers retours d’expérience de l’application concrète de cette méthode, nous présenterons en détail les évolutions qu’elle apporte ainsi que leurs implications sur la gouvernance plus générale des risques SSI.
EBIOS RM, une nouvelle méthodologie pour mieux appréhender les risques complexes de cybersécurité
Depuis bientôt 10 ans, EBIOS 2010 propose une méthode centrée sur la notion de menaces unitaires tirant partie de vulnérabilités et de prévention de leurs impacts sur des processus métiers. Cette méthode, qui remettait à l’époque le métier au centre de l’analyse de risques, n’est cependant pas conçue pour identifier et traiter des menaces complexes. Ces menaces, composées de rebonds de l’attaquant d’une vulnérabilité à une autre pour atteindre ses fins, constituent pourtant aujourd’hui une part majeure de l’univers des risques SSI et ont été mises à l’ordre du jour de nombreux comités exécutifs à la suite des dernières attaques majeures comme NotPetya ou WannaCry.
EBIOS RM vise à compléter ce manque par une approche intégrant dans un premier temps de l’étude poussée des intentions des attaquants potentiels, puis la prise en compte formelle de l’écosystème et enfin l’identification de scénarios d’attaque complexes de type kill chain. L’objectif final de cette étude n’est plus l’alignement des mesures de sécurité à des failles unitaires comme pour EBIOS 2010 mais bien la capacité à maîtriser des risques aux facettes multiples.
En préalable, mener un travail préparatoire concernant les vulnérabilités
EBIOS RM propose dans un premier temps la mise place d’une étude structurée du niveau de sécurité du périmètre analysé par une revue de conformité. Cette vérification permet d’identifier un premier panel de vulnérabilités, comme le ferait un attaquant en testant par exemple la version des infrastructures ou les vulnérabilités de l’OWASP.
Contrairement à ce qui est proposé dans la méthode EBIOS 2010, la principale finalité de cette approche n’est pas de remédier à des vulnérabilités unitaires mais bien d’alimenter la définition des scénarios d’attaque complexes en identifiant les potentiels points de rebond de l’attaquant.
Ensuite, mieux prendre en compte l’écosystème et les sources d’attaque
Par ailleurs, afin d’adapter l’analyse des risques à la réalité des SI contemporains et de l’univers de menace, EBIOS RM intègre une innovation majeure sous la forme de la revue systématique de l’écosystème du périmètre étudié, depuis les tiers de confiance connectés à celui-ci jusqu’aux tiers présumés hostiles tels que des concurrents, des états voire des activistes.
L’étude des tiers de confiance met en lumière leurs interactions avec le périmètre étudié, trop souvent acquises comme sûres, qui constituent un vecteur d’attaque idéal pour un attaquant contournant ainsi les défenses périmétriques voire les mesures de gestion des accès internes.
L’étude des tiers hostiles place quant à elle la notion d’intentionnalité de la malveillance au cœur de l’étude. EBIOS RM propose donc de les identifier précisément et d’analyser les objectifs possiblement visés. Ce changement d’angle de vue sert de base au développement de scénarios d’attaque complexes dans la suite de la démarche.
Cette nouvelle approche vise notamment à faire face aux attaques par water-holing ou encore des conséquences de la compromission d’un SI tiers comme les fuites de données de l’enseigne américaine Target en 2013.
Enfin, un travail itératif de construction des scénarios d’attaque
Sur la base de cette connaissance approfondie du contexte, la démarche EBIOS RM vise à réaliser une étude préliminaire et plus fonctionnelle des évènements pouvant survenir sous la forme de scénarios stratégiques, puis un zoom plus technique sous la forme de scénarios opérationnels détaillés. L’objectif est que ces deux visions s’alimentent tout au long de l’étude dans une réflexion itérative.
EBIOS RM demande tout d’abord de définir de 3 à 5 scénarios stratégiques combinant source d’attaque, objectif visé et principaux moyens utilisés pour atteindre cet objectif. Cette vision de haut niveau et aux aspects techniques très limités, atout clef pour présenter les risques cyber aux métiers voire aux instances dirigeantes d’une organisation, permet également de préciser le périmètre de la réflexion plus technique qui sera réalisée au travers de 10 à 15 scénarios opérationnels.
Ces scénarios opérationnels racontent un fil détaillé d’évènements qui, combinés, mènent à un impact majeur. EBIOS RM structure ce cheminement au travers de quatre phases. Tout d’abord, la prise de connaissance par l’attaquant du SI ciblé, de son fonctionnement et de ses acteurs. Ensuite, la phase d’entrée dans ce SI au travers d’actions comme le phishing ou l’exploitation d’une backdoor. Puis vient la phase de recherche des données ou du SI critique que l’attaquant souhaite compromettre. Enfin, c’est la phase d’exploitation de cette cible via par exemple l’exfiltration de données ou l’implantation d’une bombe logique.
Chaque scénario d’attaque opérationnel aura donc sa propre histoire à raconter, sa propre kill chain, dont la vraisemblance sera déterminée. Cette spécificité est une des forces de l’étude, facilitant sa restitution, mais lui permettant également d’alimenter la réflexion d’un SOC concernant la définition de scénarios de corrélation à implémenter dans un SIEM.
Cette hauteur d’analyse en fait d’ailleurs un outil de choix pour l’étude des risques des périmètres les plus critiques d’une entreprise, comme par exemple les SI d’importance vitale.
Un outil ambitieux dont il faut cadrer l’utilisation
EBIOS RM présente des atouts séduisants par la prise en compte des motivations et méthodes des attaquants, de l’étude approfondie des tiers de confiance comme potentiels vecteurs d’attaque ou encore par sa capacité à produire des scénarios d’attaques complexes mais capables de convaincre des publics non-initiés.
L’une des principales qualités d’EBIOS RM, imposer réflexion et créativité pour définir les scénarios stratégiques et opérationnels pertinents, a néanmoins un revers notable : EBIOS RM ne pourra ainsi pas, exception faite de l’étude du socle et des acteurs menaçants, faire l’objet d’une industrialisation poussée des outils associés sans craindre une perte de créativité et donc une perte de qualité dans ses résultats. Cette logique s’écarte donc de celle en vigueur pour EBIOS 2010 qui rendait par exemple possible une revue exhaustive des menaces, permise par la complexité très souvent limitée de celles-ci.
En l’absence de cadre largement outillé et afin d’éviter que la subjectivité des participants n’y fasse son lit, EBIOS RM va ainsi exiger de son pilote un éventail de compétences qui reste rare sur le marché : des connaissances techniques pointues et orientées test d’intrusion pour déterminer ce que serait capable de réaliser un attaquant selon son niveau d’expertise, de la créativité, une capacité au story telling, à la synthèse et à la pédagogie, afin de définir des scénarios d’attaques qui auront à la fois suffisamment d’impact et de pertinence pour convaincre à la fois les équipes métiers et techniques tout en illustrant avec justesse et moins de quinze scénarios opérationnels toutes les facettes remarquables de la situation étudiée.
Ces différentes qualités renforceront par ailleurs la légitimité du pilote de l’étude, indispensable pour animer et recadrer efficacement les différents groupes de travail demandés par la méthodologie, afin d’éviter les discussions sans fin qu’elle peut risquer d’entraîner par ses aspects subjectifs. Il faut en outre garder à l’esprit que par son aspect itératif et les nombreux groupes de travail qu’elle implique, EBIOS RM sera une démarche significativement plus coûteuse en temps qu’EBIOS 2010. De plus, ses résultats seront difficilement réutilisables d’une étude à l’autre, en cela qu’elle se concentre justement sur les spécificités des périmètres étudiés.
Les sources accidentelles écartées
Dernier point d’attention, EBIOS RM, en plaçant l’intentionnalité au cœur de sa démarche, écarte les sources accidentelles. Pourtant, celles-ci se produisent régulièrement, qu’il s’agisse d’un coup de pelleteuse, d’une corruption d’une base de données ou de l’erreur d’un administrateur. Par ailleurs, le cœur de la démarche EBIOS RM, en générant un nombre limité de scénarios opérationnels, ne vise pas à l’exhaustivité qui était une des forces d’EBIOS 2010. La réponse de la démarche à ce biais méthodologique est l’étape d’étude du socle, mais celle-ci n’est qu’une revue de conformité. Si on imagine appliquer la démarche à un périmètre existant présentant de nombreux axes d’améliorations et qu’on utilise un référentiel de conformité suffisamment exhaustif (les 42 règles de l’ANSSI ou ISO27002), on pourra se retrouver avec une liste à la Prévert des mesures correctives à mettre en œuvre, sans moyen rigoureux de les prioriser, sauf à faire appel à EBIOS 2010 qu’EBIOS RM visait à remplacer…
Vers une refonte de la gouvernance de la gestion des risques
EBIOS RM est donc une démarche qui nécessite un temps de mise en œuvre certain ainsi que des expertises à la disponibilité souvent déjà limitée, et dont les résultats seront difficiles à réutiliser. En tenant également compte de ses priorités méthodologiques, nous pensons préférable de concentrer l’application de cette démarche aux systèmes présentant des enjeux forts et dont le niveau de sécurité a déjà un certain niveau de maturité, par exemple parce qu’ils seront passés par l’étape EBIOS 2010. Il nous semble également préférable d’utiliser EBIOS RM pour des ensembles cohérents de SI (exemple : une voiture ou les activités marketing) afin de conserver un périmètre d’étude suffisamment important pour permettre des attaques avancées. Enfin, sur des ensembles cohérents de SI appartenant à des acteurs différents, il est possible d’appliquer la méthode jusqu’aux scénarios stratégiques afin de fixer des priorités d’étude pour les analyse de risques plus détaillées qui seront mises en œuvre par chaque entité sur ses périmètres propres. EBIOS RM sera dans ces cas d’autant plus pertinente qu’elle se concentrera uniquement sur des scénarios au plus proche des pratiques métiers.
EBIOS RM, une brique dans l’offre de services d’analyse de risque
L’arrivée d’EBIOS RM, démarche novatrice quoique à utiliser avec mesure, et qui finalement complète plus qu’elle ne remplace EBIOS 2010, participe donc à créer ce qu’on pourrait appeler une offre de service EBIOS. Les ressources et les compétences nombreuses qu’elle nécessite pour être mise en œuvre la réserveront ainsi à des périmètres spécifiques, fortement exposés ou porteurs d’enjeux majeurs comme par exemples les SI d’importance vitale, ayant déjà fait l’objet d’un socle de mesures d’hygiène SSI.
Tout ceci plaide en faveur de la mise en œuvre, en amont des projets, d’une démarche de gouvernance des risques, transverse à l’entité, qui permettra de déterminer rapidement les enjeux, l’exposition et la maturité sécurité de ses périmètres fonctionnels et applicatifs, puis de décider en fonction quelle méthodologie de sécurisation mettre en place : simple revue de conformité à un socle minimal de règles de sécurité, étude EBIOS 2010 plus ou moins approfondie ou enfin, sur les périmètres à la fois sensibles et matures, étude EBIOS RM.