On l’a abondamment commenté : depuis avril, les titres-restaurant peuvent être dématérialisés. On ne reviendra ni sur les caractéristiques de ce titre, hier uniquement papier et aujourd’hui carte à puce, ni sur les quelques contre-vérités qui ont pu circuler, et circulent encore, à son sujet. En revanche, loin de toute considération partisane, l’examen des démarches mises en œuvre par les émetteurs historiques de ces titres pour les dématérialiser pourront inspirer toute entreprise se lançant dans l’aventure de la dématérialisation d’un processus ou d’une activité.
La technologie n’est pas un enjeu
C’est un truisme : le titre-restaurant dématérialisé n’est rien sans la carte à puce et le système de traitement des transactions. Avec un repas sur six payé de cette façon, le nombre de transactions potentiel atteindrait tous les midis celui que les banques ont à traiter chaque année, lors du dernier samedi avant Noël. D’un SI vieillissant fonctionnant uniquement par batch, les émetteurs se voient contraints de passer à une infrastructure transactionnelle extrêmement performante.
Et pourtant : cette difficulté doit rapidement être écartée et ce serait une erreur que de jeter toutes ses forces dans cette bataille. Quel que soit le flux documentaire ou processus à dématérialiser, le marché regorge de solutions : ici solutions de paiement et réseaux VISA ou Mastercard, ailleurs autre SaaS ou acquisition de licence. Leur mise en place n’est certes pas triviale et il conviendra de prendre en particulier toutes les précautions nécessaires en maîtrise des interfaces et de gouvernance des données. Mais les véritables enjeux se situent sur un tout autre plan.
Un petit saut technologique, un grand bond pour la relation DSI – Métiers
L’expérience le montre : la transposition tel quel de l’existant dans un nouveau contexte technologique conduit à l’échec. Touchant au cœur même des processus, la dématérialisation n’offre en effet pas une opportunité d’optimisation ; elle en pose l’obligation. Dès lors, il s’agit d’un projet purement métier.
Or, la technologisation des processus rend caduque la distinction traditionnelle entre MOA et MOE : la technologie devenant le métier, les métiers devront s’approprier un nouveau vocabulaire et de nouveaux concepts de façon à exploiter au mieux les possibilités de cette technologie. Le rôle de la DSI est alors absolument central : à la fois aiguillon et en garde-fou, elle devra mettre sa culture innovation au service de l’optimisation du fonctionnement de l’entreprise. Ainsi, alors même que les métiers se rapprochent du SI, la DSI devra également évoluer, afin de passer de support technique à partenaire stratégique.
Du changement de forme à la révolution sur le fond
Car il s’agit bien ici de stratégie, au sens le plus plein du terme, tant la refonte des processus va in fine bien au-delà du périmètre traditionnel de l’excellence opérationnelle ; c’est le business model même de l’entité concernée qui devra en effet être repensé.
Revenons sur ce point à l’exemple du titre-restaurant
La gestion du titre devenant totalement automatisée, le prélèvement de frais devient difficile à justifier. Les émetteurs pâtissent de plus de l’analogie avec le modèle bancaire, dans lequel les taux de commission sont traditionnellement inférieurs. De plus, les cycles de remboursement des titres aux restaurateurs se raccourcissent, diminuant d’autant la trésorerie. En parallèle, afin de gérer leurs cartes, les émetteurs se trouvent contraints à prendre la relation directe avec les centaines de milliers de porteurs de cartes dont ils ignoraient jusqu’alors tout. C’est ainsi leur métier même qui s’en trouve bouleversé : propulsés du B2B au B2C, ils sont contraints de se transformer radicalement, tout en recherchant les leviers de croissance permettant de préserver leur marge.
Une réflexion amont sur l’ensemble des axes du business plan est ainsi le prérequis à la réussite d’un tel projet. Au-delà du titre restaurant, toute organisation se lançant dans un projet de dématérialisation doit prendre pleinement conscience de la nature réelle d’une telle entreprise. Celle-ci rend nécessaire la construction d’une vision holistique, centrée sur le business et canalisée par les opportunités techniques, pour cadrer puis conduire un véritable projet de transformation dont la technologie, à la fois élément déclencheur et ligne de fuite, n’est au final qu’un point de détail.