Aux États-Unis, l’effacement de consommation électrique semble faire consensus : réduire ponctuellement la consommation d’un particulier ou d’un industriel lors des pics de consommation apparait comme une alternative logique aux moyens de production de pointe. Les politiques Français témoigne d’un intérêt croissant pour le sujet de l’effacement aux vues des gains qu’il représente pour la collectivité : son développement permettrait de réduire les investissements dans les moyens de production de pointe et les coûts d’entretien du réseau électrique. Il permettrait également de contribuer à l’engagement de réduction de 20% des émissions de CO2 d’ici 2020 pris par la France. Pourtant, l’effacement « français » reste très limité : environ 0,7 GW/an pour un potentiel de 15 GW/ an. Quel état des lieux en France ? Quels sont les principaux acteurs de l’écosystème? Quelles perspectives de valorisation et de développement de l’effacement ?
L’effacement voit son écosystème évoluer
Aujourd’hui, trois principaux segments se dégagent dans le paysage de l’effacement des consommations : les gros industriels (parmi lesquels Arcelor Mittal qui à lui seul représente 1% de la consommation électrique en France), les petits industriels et tertiaire (collectivités notamment) et les résidentiels.
Les deux 1ers segments sont principalement adressés par des opérateurs chargés d’agréger les effacements pour offrir des capacités d’effacement conséquentes et donc mieux rémunérées. Les principaux acteurs sont Energy Pool, Smart Grid Energy et Actility.
Le segment résidentiel est quant à lui adressé par Voltalis, unique opérateur d’effacement diffus qualifié par RTE depuis 2008. Aux vues de la règlementation actuelle, Voltalis n’a pas réussi à dégager de modèle économique stable. Les fournisseurs[1] tels que Direct Energie sont également présents sur ce segment car ils peuvent valoriser implicitement l’effacement réalisé lorsqu’il est moins coûteux que la production d’énergie.
Pour autant, les énergéticiens sont peu moteurs sur le développement de l’effacement, perçu comme une concurrence à la production d’énergie. Les fournisseurs tels qu’EDF lui préfèrent l’effacement dit « tarifaire » qui doit permettre de réguler la consommation des clients via des offres tarifaire telles que « EJP » et « Tempo ». À date, Direct Energie est le seul énergéticien ayant créé son opérateur d’effacement agréé par RTE.
Cet écosystème est encore amené à évoluer de manière significative, comme en atteste les orientations stratégiques des pures players du marché. Smart Grid travaille depuis 1,5 ans sur « Smart Machine », un projet de R&D sur l’effacement diffus. Selon Maxime Dauby, Directeur Général de Smart Grid Energy « à terme, il n’y aura plus distinction entre les opérateurs d’effacement résidentiel et industriel ». « C’est le développement de l’effacement industriel et tertiaire qui fera décoller l’effacement résidentiel » analyse Rhita Chatila, chef de produit chez Ijenko (fournisseur de box énergie).
Par ailleurs, la logique partenariale semble être une piste adaptée aux projets d’effacement résidentiel. Preuves en sont les différentes expérimentations menées en France : « Une Bretagne d’avance », « Smart Electric Lyon » (SEL) ou encore projet Modelec qui associe notamment Direct Energie et Ijenko. Ijenko fournit aux clients une solution de suivi de consommation en marque blanche. Voltalis s’est quant à lui associé à Foncia, leader de l’immobilier résidentiel afin de réduire les coûts d’acquisition des clients.
La fin du flou juridique autour de l’effacement ?
La polémique qui a opposé Voltalis à EDF illustre bien le vide règlementaire qui entourait le sujet de l’effacement jusqu’à la publication du récent décret du 03 juillet 2014.
L’un des principaux points de désaccords portait sur le versement d’une indemnité versée par l’opérateur d’effacement aux fournisseurs d’électricité. L’état a tranché en faveur d’EDF en fixant l’indemnité à la part énergie du prix de fourniture d’électricité, sans conditionner le versement de cette prime par l’injection effective de l’électricité sur le réseau. Cette décision est très contestée par Pierre Bivas, fondateur de Voltalis.
Le versement de cette indemnité devrait être en partie compensé par une prime qui sera versée aux opérateurs d’effacement. Le montant de cette prime en euro par Mégawattheure n’a pas encore été fixé mais le décret du 3 juillet en établit le mode de calcul.
D’après la CRE, son montant devra tenir compte des gains financiers pour la collectivité et sera dégressif en fonction du volume d’effacement réalisé. Il devra également inciter les marchés de l’énergie à faire appel à l’effacement, même lorsque ce dernier nécessite des investissements conséquents. Une adaptation de cette prime sera prévue en cas d’un retour sur investissement à long terme. Cette précision devrait satisfaire Voltalis pour qui l’installation des boîtiers permettant de réaliser l’effacement chez les particuliers est très coûteuse.
Ce décret a également mis fin au flou juridique sur la définition de l’effacement qui doit « correspondre à une réduction temporaire et non récurrente de la consommation sur sollicitation ponctuelle d’un opérateur d’effacement ». L’effacement tarifaire, tel que les tarifs EJP d’EDF, est donc exclu du cadre règlementaire de l’effacement.
Enfin, le décret prévoit que seul l’accord du client soit obligatoire pour réaliser l’effacement. Les opérateurs d’effacement pourront donc agir sans l’accord du fournisseur, aspect essentiel au développement de l’effacement.
Un effacement valorisé via le mécanisme d’ajustement rentable mais encore limitée
Aujourd’hui, plus de 95% de l’effacement réalisé, qu’il soit industriel ou résidentiel, est valorisé dans le cadre du mécanisme d’ajustement. Le reste est valorisé sur le marché spot de l’électricité ou via des échanges de gré à gré.
Le mécanisme d’ajustement est piloté par RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité qui rémunère les opérateurs d’effacement de deux manières : via une prime fixe qui représente entre 10 et 20 000 € /MWH / an, selon la qualité de l’effacement et une prime variable versée lorsque l’effacement est activé.
Ce mécanisme ne permet une valorisation de l’effacement de consommation que lorsque RTE constate un déséquilibre sur le réseau électrique le jour J. Par conséquent, il n’est pas possible d’anticiper les effacements à venir sur l’année. De fait, l’effacement ne peut pas être perçu comme une alternative pérenne aux moyens de production. En tous cas avec ce seul mécanisme.
NEBEF et marché de capacité : deux nouveaux mécanismes pour valoriser l’effacement ?
Depuis le 1er janvier 2014, un mécanisme transitoire « NEBEF » est en cours d’expérimentation. Ce dernier devait permettre aux opérateurs d’effacement de valoriser les effacements sur le marché Spot de l’électricité qui représente aujourd’hui environ 10% des échanges d’électricité.
SEG est le premier opérateur d’effacement à avoir expérimenté ce mécanisme. Pour autant, Maxime Dauby indique que le prix de vente est très proche de l’indemnité versée au fournisseur, « il n’y a aujourd’hui quasiment aucune incitation financière en faveur de ce mécanisme ». De fait, ce mécanisme ne peut pas constituer à lui seul une incitation à faire appel à l’effacement.
Le marché de capacité pourrait également constituer une opportunité de développement pointe de consommation de leur portefeuille de clients dès l’hiver 2014/15. Les fournisseurs auront alors deux options : avoir suffisamment de capacité de production en propre ou acheter des certificats de capacité aux fournisseurs d’énergie ou aux opérateurs d’effacement.
Ce nouvel outil semble satisfaire les opérateurs d’effacement qui émettent quand même des doutes sur les derniers paramètres en cours de discussion comme le « niveau de pénalité » ou le « niveau de sureté », c’est-à-dire le pourcentage de la pointe de consommation qui devra être couverte par les certificats.
Les conditions technique, sociétale et politique sont enfin réunies pour permettre le développement de l’effacement. Les derniers décret sur l’effacement et les nouveaux mécanismes de marché tel que les règles transitoires NEBEF permettent une réelle ouverture du marché de l’effacement qui accède désormais au marché de gros et ce sans accord préalable du fournisseur.
Le dernier verrou réside désormais dans la valorisation financière de l’effacement, c’est à dire dans le mode de calcul de la prime versée aux opérateurs d’effacement et les pénalités fixées dans le cadre du marché de capacité. Selon Maxime Dauby, son développement pourrait être très rapide, de l’ordre de 2 ans sous réserve que la valorisation soit favorable.
[1] Rappelons que le décret du 3 juillet 2014 relatif aux effacements de consommation d’électricité oblige les fournisseurs à dissocier l’effacement de leur offre de fourniture