Comme nous l’avons vu précédemment, l’écosystème du Smart est en pleine effervescence. D’un côté, il y a les secteurs d’activité touchés par le Smart (transport, énergie, commerce…) et dont les limites sont de plus en plus hermétiques entre elles. De l’autre, la multitude d’acteurs Smart qui l’animent : ceux du front-office, connus des consommateurs, et ceux du back-office, qui offrent des produits et des services aux acteurs de front-office, avec là encore entre ces deux sous-groupes des frontières qui s’estompent parfois. Comment se repérer dans cet écosystème effervescent et en constante évolution ? Voici l’une des nombreuses thématiques Smart que nous adressons dans notre Synthèse éponyme, et qui fait en outre l’objet de cette tribune.
Un triptyque de spécialistes du Smart
1 – Les spécialistes de la relation client, agrégateurs de services
Ce sont des acteurs qui connaissent très bien les clients et leurs comportements de consommation et surtout qui sont considérés par les clients comme légitimes pour leur proposer de nouvelles offres, de nouvelles expériences de consommation. On peut dire que ce sont les interlocuteurs clients de « 1ère intention ». Leur position peut paraître simple, mais il n’en est rien car ils doivent :
- Être capables d’anticiper les besoins, y compris en se projetant dans de nouveaux domaines de consommation ;
- Parvenir à offrir une relation simple, fluide quels que soient les canaux, les moments et les motifs de contact ;
- Maîtriser les savoir-faire du métier d’intégrateur de services qui ne consiste pas à additionner des composants, mais à co-concevoir avec ses partenaires des services qui prendront leur sens une fois assemblés. Cette ingénierie de l’assemblage est particulièrement délicate, le Graal étant un véritable saut de valeur.
2 – Les spécialistes de l’innovation : équipements, systèmes et usages
Une grande partie des usages Smart provient d’innovations valorisant des technologies existantes en les associant et en inventant un usage, c’est-à-dire un résultat utile pour un client. Bien sûr, les structures de recherche et développement des grands groupes consacrent des ressources importantes à cette recherche, mais force est de constater que le foisonnement de l’innovation est presque infini chez les petits acteurs et que de nombreux usages ou « briques de services » Smart ont été développés par ces entreprises fonctionnant sur une logique de start-up, comme par exemple AlertMe.
Pour ces acteurs, il ne s’agit pas simplement de surfer sur les technologies, il s’agit d’abord de trouver de nouveaux usages et de convaincre des clients ou des partenaires de les tester et de les développer… pour les imposer dans le paysage. Ils doivent donc à la fois bien connaître les clients pour raisonner usage et conduire une stratégie partenariale très forte. Innovation client et stratégie partenariale sont les deux impératifs majeurs pour que ces acteurs restent durablement autonomes. Cependant, dans la pratique, bien souvent, ils sont rachetés par des grands groupes agissant dans leur secteur majeur d’activité.
3 – Les spécialistes des infrastructures et services critiques (back-office) indispensables au bon fonctionnement de l’ensemble de l’écosystème Smart
L’exemple d’Atos (voir notre Synthèse Smart page 10) montre que la stratégie de spécialisation back-office est tout à fait centrale dans l’univers du Smart. Il s’agit d’abord de la gestion des données Big data, mais aussi de composants plus élémentaires d’équipements communicants comme les cartes SIM. Il y a en France aujourd’hui plus de cartes SIM que d’habitants, puisqu’au-delà des téléphones, elles équipent par exemple les tablettes et les automobiles. Les spécialistes du back-office doivent à la fois industrialiser leurs offres et co-concevoir les services du futur avec leurs partenaires, en particulier les acteurs du front-office… sans compter qu’ils doivent promouvoir et imposer leurs standards pour devenir, effectivement, incontournables.
Une évolution dynamique des positionnements
Le positionnement ne se limite ni aux trois rôles types présentés ci-avant, ni à une vision statique. Si l’on s’intéresse maintenant aux dynamiques, on peut schématiquement distinguer quatre grands types de mouvements.
1 – L’émergence
On pense bien sûr aux start-up, mais cela peut aussi concerner le lancement de nouvelles activités dans des entreprises installées. Les enjeux sont multiples : pertinence de l’offre, accès aux clients, rentabilité du modèle économique, stratégie de développement ou de valorisation capitalistique.
2 – Le déplacement centripète
Des acteurs du back-office se diversifient ou se transforment en acteurs du front-office. C’est une stratégie fondamentale du secteur industriel européen depuis de nombreuses années : créer de la valeur par une offre combinant produits et services avec en cible une facturation au résultat. De nombreuses entreprises suivent cette stratégie, comme Schneider Electric qui développe des offres de prise en charge de la performance énergétique des clients. Ce mouvement se traduit par un fort enjeu de développement de la « culture services ».
3 – Le déplacement centrifuge
Ce mouvement est plus rare, il est cependant clé dans l’univers du Smart où le back-office joue un rôle central. C’est aussi, pour les start-up innovantes, un moyen pour trouver des gisements de croissance en adoptant une stratégie de développement en « marque blanche » (cf. le cas d’AlertMe en page 10 de la Synthèse).
4 – L’extension circulaire
L’intérêt d’une vision multisectorielle du Smart, c’est qu’elle fait apparaître le potentiel de ce type de mouvement. Il peut concerner tout type d’acteurs :
- D’abord, bien sûr, les spécialistes des infrastructures, puisqu’en général celles-ci peuvent être utilisées pour tous les types d’usage ;
- Les spécialistes de la relation client et de l’intégration de services ensuite, qui doivent sans cesse renforcer leur légitimité en cherchant à couvrir le plus largement possible les besoins des clients avec des accès et des services ergonomiques et simples ;
- Les spécialistes de l’innovation, mais cela s’avère plus difficile parce que cela suppose une aptitude à se projeter dans des univers d’usages très différents.
Tous ces mouvements sont à la fois des opportunités de développement ou des menaces concurrentielles. À tout moment, de nouveaux acteurs peuvent apparaître dans son propre champ concurrentiel. Il faut donc y être très attentif.
Pas de Smart sans cadre réglementaire
Bien sûr, les innovations technologiques et les innovations d’usages sont deux moteurs fondamentaux du Smart, mais ces innovations ont besoin d’un terreau favorable pour se développer. Ce terreau ne correspond ni à la demande spontanée des clients ni à la rentabilité intrinsèque des offres.
C’est le cadre réglementaire qui apparaît comme étant le socle de développement du Smart. Par exemple dans le secteur du bâtiment, la réglementation thermique (aujourd’hui la RT 2012) joue un rôle central pour l’installation de solutions intelligentes de pilotage des consommations énergétiques. Les pouvoirs publics ont donc une responsabilité essentielle pour « créer » les territoires du Smart : « les collectivités locales sont à la Smart city ce que Apple est au smartphone. ». Ainsi, le véhicule électrique ne se développera que lorsque les pouvoirs publics fixeront les règles et les aides qui permettront de créer une infrastructure de recharge : par exemple permettre à un copropriétaire d’installer une prise sur son emplacement de stationnement sans avoir besoin d’obtenir la majorité en assemblée générale.