L’énergie ne peut pas s’affranchir des territoires. Il existe des endroits où la capter, que ce soit en dehors de nos frontières pour les sources fossiles (pétrole, gaz, uranium) ou à des endroits particuliers du territoire français pour les sources renouvelables (cours d’eau en dénivelé, zones ventées, lieux ensoleillés…). Nous transportons cette énergie, sur des distances parfois importantes, pour la consommer. Les réseaux d’électricité, de gaz, de chaleur, quadrillent le territoire, tout comme les stations de distribution d’essence. À cette géographie naturelle, il faut ajouter la géographie économique de l’énergie : où vont les taxes perçues aux différentes étapes, de la production à la consommation ? Où développe-t-on les filières économiques liées à l’énergie (bâtiment, énergies renouvelables, recherche et développement…) ?
Les actuels débats sur la transition énergétique, que ce soit dans le cadre des instances impulsées par le gouvernement ou très largement dans les médias, sont l’écho des luttes d’influence entre acteurs qui s’estiment chacun les plus légitimes pour conduire la transition énergétique « sur le terrain » et espèrent s’attribuer les moyens correspondant à leurs ambitions.
L’offensive des collectivités territoriales : pour une gestion de proximité de l’énergie
Au travers de leurs associations nationales, les collectivités territoriales (régions, départements, communes et intercommunalités) s’expriment fortement, afin de promouvoir une gestion décentralisée, à l’échelle de chaque territoire. Pour elles, décentralisation est synonyme de proximité et d’efficacité. Pourquoi ?
Parce que, d’une part, les services techniques et les élus pensent connaître leur territoire mieux que quiconque : ils savent où on consomme l’énergie et où on peut en produire suivant l’implantation de l’habitat, des zones agricoles et forestières, des zones industrielles. Les plans locaux d’urbanisme en tiennent de mieux en mieux compte, en cohérence avec les Plans Climat-Énergie Territoriaux. Ils connaissent aussi leurs habitants : aux premières loges pour définir et porter une politique locale de solidarité, ils peuvent agir de plusieurs manières pour résorber la précarité énergétique des ménages.
D’autre part, les collectivités territoriales se disent aguerries dans les exercices de démocratie participative. Leur proximité avec les habitants, les acteurs du tissu économique, les acteurs de la recherche et de l’enseignement, leur permettent d’identifier des initiatives innovantes et de les multiplier, par exemple dans le champ de la maîtrise de l’énergie (covoiturage, mise en commun d’équipements de proximité…) ou de l’efficacité énergétique.
Les collectivités demandent donc à l’État, sur le modèle de certaines démocraties Nord-Européennes, plus de marges de manœuvres. Par exemple, elles veulent pouvoir adopter des règlements allant au-delà des normes nationales (règlementation thermique, obligation de rénovation…). En conséquence, la question du partage des différentes recettes fiscales issues de la chaîne de valeur de l’énergie est au centre des discussions entre l’État et les collectivités.
Vers des opérateurs locaux de l’énergie ?
Les collectivités s’attaquent également aux opérateurs nationaux de l’énergie, par l’intermédiaire d’ONG. On a vu apparaître ces derniers mois des propositions pour permettre aux communes de créer leur propre entreprise locale de distribution de gaz ou d’électricité en lieu et place des deux distributeurs historiques. Leurs arguments ? La diversité des situations locales implique de moduler les stratégies. La gestion directe de ces opérateurs leur donnerait un pouvoir d’action plus grand, par exemple pour injecter plus facilement gaz ou’électricité renouvelables produits localement. Les distributeurs historiques défendent quant à eux leur saine gestion et mettent dans la balance leur capacité à absorber les variations des productions énergétiques locales dans le temps.
Gérer l’énergie à l’échelle locale, pour mieux la produire et la consommer conduit certaines collectivités à parler d’une possible indépendance énergétique. Mais elles ne s’accordent pas forcément entre elles pour identifier la bonne échelle d’action :intercommunale, départementale ou régionale. Une certaine forme de concurrence est même perceptible à l’heure de proposer des initiatives. Deux collectivités se distinguent en ce moment : d’abord les régions, qui ont réfléchi et structuré leur action lors de la définition de leurs Schémas Régionaux Climat-Air-Énergie en 2012. Ce n’est probablement pas un hasard si le gouvernement leur a donné un rôle central d’animation des débats de ce printemps. Elles peuvent se prévaloir d’une taille pertinente pour stimuler la production d’ENR et le développement d’un tissu économique viable autour d’elles. Ensuite, les intercommunalités, qui se sont emparé de longue date des questions de maîtrise de l’énergie. Elles ont pour elles de concentrer sur leurs territoires la majorité des consommations énergétiques non industrielles (bâtiments, transports) et de disposer d’outils de décision efficaces pour les réduire. Ceci étant dit, le nouveau projet de loi « Lebranchu » modifie encore les équilibres.
Les prochaines semaines permettront de définir quels sont les acteurs les mieux placés pour assumer le leadership de la transition énergétique.