Chaque hiver, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, tire la sonnette d’alarme. Le niveau de consommation élevé, dû principalement au chauffage électrique, nécessite un appel de puissance de plus en plus important que l’on retrouve dans les records atteints chaque année : 92400 MW le 7 janvier 2009, 93080 MW le 11 février 2010 et 96170 MW le 15 décembre 2010. Pour faire face à ces pointes de consommation, l’effacement de la consommation électrique des entreprises consiste à limiter leurs consommations à la demande des fournisseurs d’électricité. Les électriciens ont pour cela créé un jeu de Tétris géant…
Une équation simple, compliquée à mettre en œuvre
Proportionnellement au niveau de consommation croissant, la thermo-sensibilité du parc a augmenté : il a fallu durant l’hiver 2010/11 mobiliser 2 300 MW supplémentaires à chaque fois que la température baissait d’un degré, contre 2100 MW en 2009-2010. Ce chiffre pourrait passer à 2 500 MW en 2025 en raison de la croissance de la demande et des nouveaux usages comme les pompes à chaleur, la voiture électrique…
Cette pointe de consommation électrique dure également de plus en plus longtemps. Aujourd’hui, l’extrême pointe dure environ 50 heures par an et la totalité de la pointe à peu près 400 heures.
Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité RTE, chargé de l’équilibre à chaque instant entre offre et demande, utilise déjà l’effacement via le Mécanisme d’Ajustement (392 MW en 2012).
Les fournisseurs d’électricité sont de leur côté responsables de l’équilibre entre leur production et la consommation de leurs clients : ils proposent ainsi des contrats à engagement d’effacement dans lesquels les clients consentent à s’effacer un certain nombre de fois dans l’année en contrepartie d’un prix fixé du mégawatt et d’une prime fixe.
Pour faire face à la pointe, le fournisseur a besoin de “blocs d’énergie” de grande puissance (en mégawatts) effacés sur une durée de 4 ou 8 heures. Par contre, la majorité des entreprises ne peuvent diminuer leur consommation que dans des proportions beaucoup plus limitées et sur des périodes plus courtes. Les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent s’effacer dépendent étroitement de la nature de leurs activités et des équipements industriels de substitution (groupe électrogène…) dont ils disposent.
Le secours des jeux sur ordinateurs : un procédé efficace ?
Pour résoudre ce casse-tête les électriciens ont inventé un jeu de Tétris géant qui va orchestrer les capacités limitées de chacun pour reconstituer des blocs d’énergie significatifs à l’échelle de la production.
Les systèmes d’information jouent un rôle majeur dans ce jeu en ligne massivement multi-joueurs. Tout d’abord les fournisseurs d’électricité doivent gérer un portefeuille d’effacement activable à volonté durant l’hiver. Le jour J, un grand jeu de Tétris est organisé pour composer dynamiquement des blocs d’énergie à partir des capacités d’effacement individuelles des entreprises. Enfin les réseaux informatiques et les systèmes de télépilotage sont mis à contribution afin d’activer les goupes électrogènes, relais du fournisseur durant la période d’effacement.
Pour le producteur/fournisseur d’électricité, les effacements constituent une alternative à la mobilisation de moyens de production supplémentaire. Le prix de revient de cette production reste faible comparé aux attentes des clients qui espèrent une rémunération importante pour compenser leurs investissements dans des équipements appropriés (groupe électrogène, système télépiloté) et les contraintes que les effacements imposent à leur propre production. La fiscalité des transactions commerciales sur les effacements peut encore faire pencher un peu plus la balance en faveur de la constitution d’une capacité de production supplémentaire. Au prix actuel de l’électricité en France cette équation ne peut trouver de solutions que dans les cas a priori favorables, par exemple si l’entreprise possède d’ores et déjà un groupe électrogène pour garantir la continuité de service.
Sur un plan purement écologique, l’équation carbone n’est pas non plus aisée à résoudre : que penser aujourd’hui des émissions de gaz à effet de serre de ces milliers de groupes électrogènes démarrant en même temps alors qu’une seule centrale à cycle combiné gaz, fonctionnant au gaz naturel, pourrait assurer le même service en réduisant de moitié les émissions atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2), en divisant par trois les oxydes d’azote (NOx) et en supprimant les émissions d’oxydes de soufre (SO2).
Un intérêt pédagogique pour entreprises et fournisseurs
Au final, le grand jeu de Tétris des électriciens n’apportera probablement pas de réponse absolue à l’évolution de la demande d’électricité. Cependant, il permettra aux entreprises clientes de mieux maîtriser leur consommation d’électricité et aux fournisseurs d’électricité de mieux comprendre les usages de leurs clients pour adapter leurs modes de production et leurs offres commerciales.
Du point de vue des systèmes d’information, cette nouvelle activité génère l’utilisation d’applications informatiques d’une grande complexité pour une espérance de retour sur investissement incertain si les clients n’adhèrent pas massivement aux nouvelles offres à engagement d’effacement.
C’est donc avec raison que les DSI des fournisseurs pourraient se tourner vers l’externalisation de ces applications informatiques ultra spécialisées. Les grands acteurs du monde de l’électricité et des équipements industriels développent déjà des progiciels « clé en main » en mode SAAS. L’enjeu des fournisseurs d’électricité se concentre alors sur la relation et la connaissance clients qui leur permettront de proposer les offres de fourniture les mieux adaptées.
[Article rédigé en collaboration avec Véronique Codazzi et Mohamed-Amine Diwane, consultants]
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