Le 10 juillet 2012, le Conseil d’État donne raison à GDF SUEZ et l’ANODE (Association nationale des opérateurs détaillants en Energie) en annulant le gel des prix du gaz décidé par le gouvernement pour la période du 1er octobre 2011 au 1er janvier 2012. Ce verdict, synonyme de rattrapage tarifaire, inquiète les 7 millions de foyers chauffés individuellement au gaz.
Le gel des prix fin 2011 : une décision politique
Selon la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), en appliquant la formule tarifaire, les prix du gaz auraient dû augmenter de 5 à 10% à partir de juillet 2011. Une hausse jugée « inacceptable » par Eric Besson, ex ministre de l’énergie. Afin de protéger le pouvoir d’achat des particuliers consommateurs de gaz, il annonce ainsi un gel des prix à compter du 1er octobre, et ce pour une durée indéterminée. Cette mesure politique permet, à court terme, d’épargner le portemonnaie des millions de français chauffés au gaz. Mais quelles en sont les conséquences économiques à plus long terme ?
Le prix du gaz, qu’es aquò ?
Le Contrat de Service Public signé en 2009 entre l’État et le groupe GDF SUEZ fixe le cadre réglementaire des mouvements tarifaires du gaz. Ces tarifs doivent couvrir à la fois ses coûts d’approvisionnement (frais liés à l’importation de gaz) et ses charges hors coûts d’approvisionnement (stockage, transport, distribution, commercialisation). La formule d’évolution des coûts définie en conséquence par les ministres chargés de l’économie et de l’énergie est indexée notamment sur le prix du gaz de marché et sur le prix du pétrole. Historiquement, le gaz et le pétrole présentaient des modèles économiques et industriels proches du point de vue des procédés d’exploration et de production, ainsi que des stocks disponibles (estimés à quelques dizaines d’années à peine au début des années 2000). Par ailleurs, les coûts du pétrole sont historiquement très fluctuants en fonction de la conjoncture. C’est dans ce contexte que Gaz de France avait choisi de baser ses approvisionnements en gaz naturel principalement sur des contrats long terme, indexés sur le prix du pétrole.
Le gel décidé fin 2011 va donc à l’encontre du Contrat de Service Public et du Code de l’énergie. En effet, le prix inchangé ne permet pas à GDF SUEZ de couvrir ses coûts d’approvisionnement. Le manque à gagner a été estimé par le Groupe à 290 Millions d’euros sur le seul 4ème trimestre 2011.
Cet affaiblissement de notre champion énergétique a des répercussions négatives sur la compétitivité de la France au niveau international. Les adversaires du tarif réglementé et la CRE en particulier dénoncent quant à eux l’impact de ce gel sur la concurrence : les fournisseurs alternatifs ne sont pas en mesure de proposer des offres à un prix aussi bas.
Au 1er janvier 2012, le gel est suspendu et une nouvelle formule tarifaire appliquée : le prix du gaz augmente de 4,4%.
Un retour de bâton prévisible
En réponse au gel, GDF SUEZ et l’ANODE ont saisi le Conseil d’État en octobre 2011 pour demander la suspension de l’arrêté et un dédommagement pour les pertes encourues. Le 10 juillet dernier, ils ont obtenu gain de cause : le Conseil d’État a annoncé l’annulation de l’arrêté et la hausse rétroactive des factures pour la période du 1er octobre 2011 au 1er janvier 2012. Cela représente un paiement supplémentaire de 38 euros en moyenne par foyer qui devrait être lissé sur deux ans.
Vers une refondation de la formule
De cette bataille juridique entre l’opérateur historique et son principal actionnaire, l’État, qui met en ballottage à la fois le pouvoir d’achat de millions de français et la performance économique de nos acteurs énergétiques, ressort une conclusion sur laquelle toutes les parties s’accordent : le système de fixation des tarifs du gaz n’est plus adapté, voire « dépassé » selon le premier ministre Jean-Marc Ayrault. En effet, ce système basé sur les coûts d’approvisionnement et donc sur la politique d’approvisionnement aboutit à un paradoxe : les coûts d’approvisionnement augmentent alors que les prix de marché baissent.
Cette chute des prix de marché (-26% depuis janvier 2012) s’explique par le changement structurel profond qu’entraîne l’exploitation du gaz de schiste aux États- Unis. L’abondance du gaz non conventionnel (dont les stocks sont estimés à 250 ans) fait baisser drastiquement les prix du marché spot, alors que les contrats long terme restent indexés sur le prix (élevé) du pétrole.
Par conséquent, malgré les 30% indexés sur le prix du gaz naturel, les consommateurs constatent un décalage flagrant entre le prix de la matière première qui baisse et les factures… qui gonflent.
Ce décalage avec le contexte économique actuel pousse à réfléchir à un nouveau système, plus en phase avec le marché.
Deux issues sont possibles : soit un maintien de la fixation des prix en fonction des coûts d’approvisionnement qui s’accompagnerait d’un changement de politique d’approvisionnement, c’est-à-dire augmenter la part du spot, quitte à prendre des risques pour l’avenir. Soit le système est refondé du tout au tout sur des règles qui ne seront plus liées aux coûts d’approvisionnement, mais au prix du marché.
Au-delà de la formule et du contexte économique, un levier de politique sociale
Sur quoi se construira le prix du gaz dans les prochaines années ? Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra opérer une déconnexion entre le gaz et le pétrole qui ne sont plus sur un pied d’égalité en termes de prix et de stock restant. Ensuite, il sera nécessaire d’anticiper l’augmentation structurelle des coûts d’approvisionnement et d’intégrer le nouveau défi de l’efficacité énergétique. À cela se rajoutent des considérations politico-sociales.
Une proposition de loi, inclue dans le programme de campagne de François Hollande, sera faite à l’automne : un prix forfaitaire du gaz en fonction de la consommation. Le prix du kilowattheure augmenterait par pallier. Cette mesure permet, il est vrai, d’encourager les économies d’énergie, mais elle est avant tout politique et a un objectif de différenciation sociale. Elle entraînera un traitement différencié des consommateurs sur un indicateur annexe de richesse : la taille du logement en m² par personne.
Pour atteindre cet objectif, ce tarif progressif devra prendre en compte d’autres facteurs qui influent sur la facture indépendamment du comportement du consommateur :
- Le nombre de personnes par foyer (pour ne pas pénaliser les familles nombreuses qui nécessairement consomment plus) ;
- La région concernée (Nord ou Sud, les écarts de consommation sont importants suivant la température) ;
- La qualité thermique du logement.
Il faudra à nouveau trouver la bonne formule, la plus équilibrée possible qui prenne en compte à la fois les facteurs sociaux, environnementaux, sans perdre de vue les enjeux de rentabilité et de compétitivité du géant GDF SUEZ et de ses concurrents.
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