[Didier Laffaille est chef du département technique au sein de la Direction de l’accès aux réseaux électriques]
SolucomINSIGHT : Pourquoi la CRE a-t-elle lancé il y a plus d’un an une démarche ambitieuse dédiée aux Smart grids ?
Didier Laffaille : Du fait de l’augmentation de la consommation et de l’accroissement de la part des énergies de sources renouvelables dans la production d’électricité, le système électrique ne pourra plus être géré demain comme il l’est aujourd’hui.
En France, depuis 2005, le nombre d’installations de production, majoritairement photovoltaïques et éoliennes, raccordées aux réseaux publics d’électricité, a été multiplié par 30. Le développement très substantiel de ces installations aura des conséquences sur le système et les réseaux électriques. En effet, la production d’origine renouvelable est majoritairement décentralisée, non prévisible et non pilotable. Elle va donc modifier la structure et la gestion du système électrique, en impliquant notamment un fonctionnement bidirectionnel des réseaux, alors que les réseaux ont été conçus à l’origine pour acheminer l’électricité produite de façon centralisée dans un seul sens, de la production vers la consommation.
Par ailleurs, le développement des véhicules électriques pour ne prendre que cet exemple va nécessiter l’installation en grand nombre d’infrastructures de recharge, également dans des zones où les réseaux électriques ne sont pas nécessairement adaptés pour absorber des appels de puissance massifs.
Nous sommes convaincus que ces évolutions requièrent une modernisation des réseaux, qui constituent un chantier d’avenir important pour conserver un système électrique robuste et fiable. C’est pourquoi nous avons souhaité lancer et animer une vaste réflexion sur l’avenir des réseaux électriques. Dans le prolongement de la parution de l’ouvrage « L’électricité du futur : un défi mondial », élaboré en collaboration avec l’université Paris-Dauphine, qui synthétise et complète les échanges du premier colloque institutionnel organisé au mois de janvier 2010 à l’Assemblée nationale, nous avons décidé le lancement d’un site Internet : www.smartgrids-cre.fr.
Ce site Internet, dédié aux réseaux électriques intelligents (Smart grids), a deux objectifs principaux : informer, notamment les consommateurs, et fédérer les acteurs de cette modernisation des réseaux. Il réunit une communauté d’experts issus de plus de 60 entités différentes : des cabinets de conseil, des entreprises du secteur des télécommunications, des équipementiers, des constructeurs, des fournisseurs, des gestionnaires de réseaux, des enseignants chercheurs, des acteurs institutionnels, etc. Le site est collaboratif et se fonde essentiellement sur l’implication et la participation des acteurs aux différentes rubriques.
S.I : Quel rôle la CRE se donne-t-elle dans ce dispositif ?
DL : La Commission de régulation de l’énergie (CRE) est une autorité administrative indépendante créée en 2000 dans le cadre de l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz. Elle a pour mission d’accompagner ce processus d’ouverture en s’assurant notamment de l’accès non-discriminatoire aux réseaux électriques, qui constituent des monopoles. À cet égard, la CRE fixe désormais seule le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), finançant notamment l’investissement dans les réseaux. La CRE a également contribué à fixer le cadre dans lequel s’est déroulée l’expérimentation du compteur évolué Linky pour en faire un instrument de l’ouverture à la concurrence, car il devrait permettre aux fournisseurs de proposer des offres plus diversifiées. Par le biais de ses différentes missions et afin d’anticiper l’impact des évolutions du système électrique, la CRE s’est naturellement intéressée très tôt au comptage évolué (Smart metering), puis aux Smart grids. Compte tenu du caractère récent et très transversal de la réflexion sur les Smart grids, il n’existe pas encore de régulation des réseaux intelligents. Celle-ci reste à construire.
En l’absence de « Smart regulation » et du fait de notre statut institutionnel, notre rôle de coordination et de mutualisation de l’expertise entre les différents acteurs a émergé naturellement. Dans le cadre du site Internet et des forums associés que nous organisons régulièrement, nous avons pu échanger de manière très constructive avec les acteurs du monde de l’énergie et des télécommunications pour faire émerger les problématiques posées par l’évolution du système électrique.
La CRE est un acteur central sur le sujet des réseaux et de leur évolution puisque, dans le cadre des missions qui nous sont confiées par le code de l’énergie, nous rencontrons régulièrement l’ensemble des parties prenantes sur différents sujets. Au travers de ces échanges, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un réel besoin de communication entre tous les acteurs. En effet, le monde de l’énergie connaît peu le fonctionnement du monde des télécommunications, et inversement.
S.I : Quelles ont été les modalités d’action les plus efficaces (forums, rencontres, publications sur le portail, interviews, etc.) ?
Nous fédérons les différents acteurs des mondes de l’énergie et des télécommunications, en organisant notamment des forums de manière bimestrielle qui connaissent un vif succès. Concernant le site Internet à proprement parler, les différentes rubriques visent à fournir une information destinée à différents publics, à faciliter le retour d’expérience et à diffuser les bonnes pratiques. Parmi les rubriques les plus lues, on peut noter :
- les « Dossiers » qui ont pour but d’approfondir un aspect des réseaux électriques intelligents (comptage évolué, véhicule électrique, bâtiment intelligent, modèles économiques, Super grids, intégration des EnR, zones insulaires). Les prochains dossiers seront consacrés aux NTIC, Smart cities, Consomm’acteur, Stockage, Smart gas grids, démonstrateurs, etc. ;
- la rubrique « Technologies et innovations » davantage destinée aux professionnels du secteur, qui présente des technologies disponibles ou encore au stade de la R&D pour moderniser les réseaux ;
- une rubrique qui vise à faire connaître les nombreuses expérimentations en France et dans le monde – elle sera prochainement complétée et rebaptisée « Territoires et projets » ;
- une rubrique plus grand public qui fournit une information pédagogique destinée au « Consommateur ».
Les premières expérimentations en matière de Smart grids ont montré à quel point l’acceptabilité sociale est fondamentale pour le succès des projets. C’est pourquoi, l’information des différents types de public est une responsabilité collective à laquelle la CRE prend résolument part.
S.I : Comment la CRE évalue-t-elle les premiers résultats sur le fond et sur la dynamique des acteurs ?
DL : Deux ans après le colloque organisé à l’Assemblée nationale, les initiatives en matière de Smart grids, qu’elles soient sous la forme de colloques, de projets, d’expérimentations, se sont multipliées. Cela permet aujourd’hui d’avoir une vue d’ensemble beaucoup plus complète du sujet. D’abord consacrées à l’électricité, des initiatives, concernant d’autres types d’énergie, telles que le gaz, la chaleur ou l’eau, voient aujourd’hui le jour. À cet égard, un dossier sur les « Smart gas grids » est en réflexion pour une publication à la fin de l’année.
Après la phase de rencontres des acteurs, de mise en commun de réflexions sur les freins et les leviers du développement des Smart grids et de mutualisation de l’expertise, de nouveaux champs s’ouvrent. Ils consistent à tirer le meilleur parti du résultat des expérimentations, qui sont encore très récentes pour la majeure partie d’entre elles, à former les ingénieurs de demain dans les secteurs de l’énergie et des télécoms, à promouvoir le savoir-faire des industriels européens au niveau mondial. Cette dynamique est enclenchée par les différents acteurs, mais doit encore être amplifiée.
S.I : Comment la CRE voit-elle la poursuite de cette démarche ?
DL : Nous souhaitons également organiser des échanges avec des grandes écoles et des universités pour mobiliser les futurs ingénieurs de demain, qui participeront à la mise en place des Smart grids. Nous continuerons d’échanger avec les collectivités territoriales, qui sont d’excellents territoires d’expérimentations.
Nous souhaitons également ouvrir la réflexion à l’Europe. À cet effet, un premier dossier sur la situation allemande en matière de réseaux électriques intelligents, associé à son forum, sera préparé au cours du deuxième semestre 2012.
Ainsi, la CRE poursuit son travail de sensibilisation des différentes parties prenantes, et notamment des acteurs institutionnels, sur les défis de l’évolution du système électrique. Les transformations induites par l’augmentation de la consommation d’électricité et le développement des énergies de sources renouvelables imposent de réaliser des investissements dans les réseaux. Au-delà des questions de financement qui sont d’autant plus cruciales que le contexte macroéconomique est défavorable, les difficultés de réalisation de ces investissements ne doivent pas être sous-estimées. À titre d’exemple, la construction d’une nouvelle ligne prend environ une dizaine d’années. Cela signifie qu’il faut anticiper dès aujourd’hui les transformations de demain.
Pour lire plus d’articles sur le secteur de l’énergie, cliquez ici.