Après plusieurs tentatives d’adoption de lois facilitant la saisie de données de clients de services américains stockées en dehors des États-Unis, le Congrès américain a adopté en mars 2018 le « Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act » ou CLOUD Act, qui fournit un cadre légal pour l’accès aux données de fournisseurs américains, en dehors de leur domaine de juridiction.
Le projet de loi, créé à la base pour modifier un projet de loi de 1986, le «Stored Communication Act», permet aux États-Unis de forcer les fournisseurs de services américains à transmettre les données de leurs clients stockées à l’étranger de manière beaucoup plus rapide. Il faut en moyenne dix mois pour obtenir les données, une durée improductive pour les enquêtes menées par les États-Unis. Le projet de loi vise à permettre aux autorités américaines (du shérif à la CIA) à accéder à des données hébergées par des entreprises américaines sans passage devant un juge. Les grandes entreprises technologiques, qui ont soutenu le projet de loi devant le Sénat, pourront s’opposer à une demande si :
- Le client ou l’abonné n’est pas américain ou ne réside pas aux États-Unis (section 3.2.b.h.2.i), et
- Le transfert obligerait le fournisseur à enfreindre les réglementations du pays hébergeant les données (section 3.2.b.h.2.ii)
Cette demande sera alors portée devant un tribunal américain qui pourra alors casser ou non la demande de transfert de données. Sa décision sera basée, entre autres, sur la validité des informations apportées, de l’intérêt de la requête pour les Etats-Unis et de l’envergure et les chances d’application de la violation de loi dans le pays étranger. Le caractère public du recours n’est pas précisé, en particulier la capacité des entreprises à communiquer sur ces contestations. Aujourd’hui, il nous parait probable que les grands acteurs américains utilisent ce recours pour garder la confiance de leurs clients.
Afin d’éviter d’enfreindre les réglementations des pays concernés, les États-Unis pourront passer des accords bilatéraux avec ces États, qui, en échange de leur bonne volonté, pourront accéder aux données sur le territoire américain.
Aux États-Unis, le CLOUD Act reste contesté pour les risques hérités par les potentiels accords avec les pays étrangers. Le fait que le pouvoir exécutif soit à même de mettre en place les accords mutuels inquiète la population américaine, qui craint que des puissances étrangères se servent du Cloud Act pour aller fouiller dans leurs données sans garde-fou.
Quelles conséquences pour les clients européens ?
Alors que les géants de la technologie (Facebook, Google, Microsoft, Apple) ont soutenu le projet de loi (les autorités américaines s’abstenant de les approcher pour un accès backdoor et fournissant un cadre clair pour exercer le transfert de données), ces réglementations peuvent être inquiétantes pour la privacy des clients des entreprises ciblés. Cette loi pourrait laisser les clients sans droit de regard, ni information sur l’accès à leurs données par les autorités américaines.
Cependant, les clients européens dont les données sont traitées en Europe pourraient être bientôt protégés par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Les articles 45 et 48 du règlement qui entrera bientôt en vigueur définissent un ensemble de règles claires pour permettre le transfert vers des pays tiers. Selon Frank Jennings (avocat de renom sur les sujets cloud), l’European Data Protection Board, en charge de l’implémentation du RGPD, sera en charge de décider si les saisies dans le cadre du CLOUD Act constituent une mesure nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale américaine, ou si la demande ne respecte pas la nouvelle réglementation. Cela pourrait obliger les États-Unis à négocier avec l’UE ou ses États membres les conditions de tels transferts, et donc à protéger leurs citoyens contre les transferts illégitimes. Les clients américains resteraient toutefois sous la portée du CLOUD Act.
Des négociations doivent commencer entre la Commission européenne et les Etats-Unis. Les dirigeants de l’UE ont déjà critiqué le projet de loi américain pour son adoption précipitée, ce qui risque de compliquer les négociations. Entre-temps, une centaine d’organisations de la société civile ont pressé le Conseil de l’Europe à rendre publiques les négociations prévues lors de la « Convention sur la cybercriminalité » (ou « Convention de Budapest »).
Les lois de confidentialité, un atout pour les entreprises ?
Alors que le RGPD a pu préoccuper une bonne partie des entreprises sur le changement que cela impliquerait pour leurs systèmes d’information et que la directive « E-Privacy » se prépare, il pourrait être intéressant de voir le rapport à la réglementation évoluer dans le monde des affaires. Les lois de «data privacy » pourraient, dans un futur proche ou lointain, être considérées comme une aide à la protection de leurs données et au maintien de la confiance des clients.
Dans un monde où les questions de confidentialité des données deviennent de plus en plus importantes (Cambridge Analytica, Google Home Mini), les protections sur les données des clients peuvent être un argument décisif lors du choix entre des offres compétitives. Le positionnement des fournisseurs américains sur les questions de Privacy et de protection des données est attendu impatiemment.
Que faire aujourd’hui ?
Pour conclure, les nouvelles réglementations sur la privacy restent assez ambiguës et peuvent même se heurter sur certains points. La principale conclusion reste que les Européens devraient être mieux protégés par le RGPD face au CLOUD Act, si les fournisseurs américains dénoncent les requêtes abusives et que les tribunaux en charge de valider la demande jouent leurs rôles. Les clients non européens, quant à eux, ne seraient pas plus protégés en hébergeant leurs données en Europe.
En attendant l’entrée en vigueur de nouvelles lois traitant de la confidentialité et les éventuelles saisies des données, vous pouvez prendre des mesures pour protéger vos données personnelles et commerciales contre les écoutes d’outre-mer et autres menaces potentielles :
- Clarifier avec votre fournisseur dans quelles conditions il pourrait être amené à donner accès à vos données, sans oublier de prendre en compte les traités d’assistance judiciaire mutuelle (Mutual Legal Assistance Treaties).
- Définir ou revoir votre stratégie d’hébergement suivant le type de données, la nationalité du fournisseur et la location de l’hébergement
- Privilégier l’hébergement de données dans des datacenters européens ou dans des pays disposant de règles bien établies en matière de confidentialité des données.
- Choisir un fournisseur français ou européen permet d’éviter les risques du CLOUD Act. En contractualisant qu’il n’utilise pas de sous-traitants américains (directement ou indirectement) !