Les menaces cyber sont de plus en plus sophistiquées et les attaquants de plus en plus créatifs pour contourner les dispositifs de sécurité des défenseurs. Les mesures classiques de prévention quant à elles s’efforcent en permanence de s’adapter aux nouveaux modes d’attaque. Les outils de Deceptive Security sont apparus du fait de cette compétition entre moyens d’attaque et moyens de défense, comme une méthode alternative et complémentaire de lutte contre les menaces.
Aux origines : les Honeypots
Le principe de Deceptive Security est basé sur l’utilisation de Security Decoys (ou « leurres » en français), inspirés des Honeypots (pots de miel). Le principe est simple : des leurres sont répartis aux points stratégiques du SI et toute activité y est tracée. Ces leurres n’ayant d’autres utilités que d’appâter de potentiels attaquants, toute communication avec l’un d’entre eux est nécessairement suspecte. Leur analyse permet donc de détecter et d’étudier de potentielles menaces.
Aujourd’hui, les Honeypots demeurent peu répandus, les principaux cas d’usage restant cantonnés à des cas de recherche ou de récupération d’informations (notamment de Threat Intel). Ainsi, des « pots de miel » sont exposés publiquement afin d’observer le trafic reçu sur Internet, et d’en extraire des informations : observation de nouvelles menaces (ransomware, chevaux de Troie…), identification d’IP suspectes ou compromises (SPAM, botnet…) … On peut cependant noter le regain d’intérêt pour les honeypots suite à l’attaque WannaCry, pendant laquelle nombre d’entre eux ont été utilisés pour récupérer et analyser le ransomware.
Dans les SI des entreprises, leur utilisation est encore plus marginale, et – en plus des cas cités précédemment – majoritairement limitée à des besoins bien spécifiques de gestion de crise ou de réponse à incident. Dans ces cas, les Honeypots sont utilisés pour contenir la menace dans un périmètre défini (afin de protéger les ressources critiques), étudier son comportement et en déduire son objectif.
Ainsi, aujourd’hui, les Honeypots sont principalement utilisés dans des buts d’observation et de compréhension de la menace.
Les difficultés que les Honeypots rencontrent pour se démocratiser reposent principalement sur deux limites : ceux-ci sont généralement trop facilement détectés par les attaquants, et le passage à l’échelle d’un SI relève de l’impossible, notamment par manque d’industrialisation des solutions.
Suivre le rythme : wider, faster, stealthier
Le principe de Deceptive Security vise justement à adresser ces deux problématiques, et repose sur la capacité à déployer des leurres de manière industrielle et sur des périmètres étendus. Le déploiement de ces honeypots peut être réalisé de deux façons : par le déploiement d’environnements leurres dédiés, ou par l’ajout de leurres (agents…) installés sur des environnements existants (serveurs de production, de transfert de fichier…). La stratégie de certaines solutions de Deceptive Security repose sur le déploiement de leurres à une échelle telle que ceux-ci créent un « second SI » dans le SI (ou une partie de celui-ci), similaire à une toile d’araignée dans laquelle l’attaquant vient s’emmêler.
Même si cette industrialisation représente un progrès majeur en soi, ce qui justifie la création d’une nouvelle catégorie d’outils (plutôt que de parler de simple évolution), c’est surtout la capacité à mieux dissimuler les leurres. Terminés les serveurs vulnérables avec des mots de passe par défaut : le piège est évident, l’attaquant n’y croit plus. Aujourd’hui, les solutions de Deceptive Security les plus avancées racontent une histoire à l’attaquant afin de le guider peu à peu vers leurs pièges.
La recette : remonter les miettes jusqu’au pot de miel
Pour cela, des informations (généralement appelées « miettes ») sont disséminées sur les environnements existants : serveurs de productions, AD… Bien entendu, l’industrialisation du déploiement de ces miettes est lui aussi un des enjeux principaux mis en avant par les solutions les plus avancées. Une miette représente un brin d’information : la mention d’un serveur hébergeant un middleware obsolète, des identifiants de connexion à un serveur, l’existence d’un compte possédant des droits d’administration…
Selon les solutions, ces miettes peuvent poursuivre deux buts distincts. Elles peuvent être utilisées comme un mécanisme de protection, en guidant les attaquants vers de fausses pistes, ralentissant leur progression et les encourageant à jeter l’éponge et à changer de cible.
Mais surtout, elles peuvent aussi permettre la détection des attaquants. Dans ce cas, chacune des miettes représente un indice, que les attaquants peuvent récolter en explorant les différentes ressources du réseau. Une fois récoltés, interprétés et corrélés, ces indices guident petit à petit les attaquants vers des leurres. Et c’est ici qu’est le réel enjeu, et la rupture par rapport au positionnement classique, de la Deceptive Security : comment créer des scénarios plausibles -et variés- pour piéger les attaquants ?
Ainsi, là où les Honeypots se contentent de circonscrire l’attaquant dans un périmètre défini afin de comprendre le fonctionnement et l’objectif de l’attaque, les Security Decoys visent à être déployés sur un maximum de ressources, afin d’augmenter les chances de détection, et doivent donc savoir rester discrets.
Une fois le contact avec le leurre établi, l’attaquant est repéré. Son comportement peut être alors étudié ou son accès bloqué. Dans les cas les plus poussés, de fausses informations peuvent aussi être mises à disposition pour exfiltration, permettant de faire croire à l’attaquant que sa tentative est réussie, ou de le déstabiliser lui ou son employeur : faux secrets de fabrication ou projets de brevets, fausses stratégies de rachat…
Une nouvelle approche aux nombreux avantages
Au vu de son fonctionnement, la Deceptive Security présente certains avantages par rapport aux solutions existantes.
- La transparence pour les utilisateurs et les applications : la mise en place de leurres n’ajoute aucune contrainte aux équipes IT et utilisateurs finaux : pas d’ouverture de flux, de blocage de communication ou de fichiers légitimes… ;
- Un faible taux de fausses alertes: un leurre n’étant pas supposé être utilisé de manière légitime, tout contact a de forte chance d’être lié à une menace ;
- L’absence de connaissance des attaques pour être efficace : la protection apportée par la Deceptive Security n’est pas basée sur une connaissance préalable de la menace à détecter ou bloquer (pas de signatures…). Elle est donc à même de détecter certaines menaces inconnues (0-days sur des dispositifs de sécurité ou des middlewares…) et ne nécessite pas de mise à jour continue pour être efficace. Cependant, pour détecter de cas spécifiques – sur un type d’attaque ou une ressource ciblée par exemple -, une bonne connaissance des vecteurs d’attaques reste une nécessité pour la création de miettes convaincantes et pertinentes pour le scénario souhaité ;
- L’absence de phase d’apprentissage : la détection ou le blocage d’une menace ne repose pas non plus sur l’apprentissage du réseau (seuils, patterns…), même si une connaissance de celui-ci reste nécessaire. L’outil est donc opérationnel dès son déploiement, et n’est pas vulnérable pendant cette phase de définition de la « normalité » du réseau. Ainsi, la Deceptive Security évite les principaux inconvénients des approches par signature et par apprentissage ;
- L’absence de besoin de corrélation avec d’autres ressources: même si la corrélation avec d’autres ressources reste un plus, une simple connexion sur un leurre suffit à lever une alerte nécessitant d’étudier le cas plus en détail ;
- La possibilité de couvrir des périmètres généralement difficiles à protéger: des leurres peuvent être déployés sur de nombreux périmètres (IoT, legacy…) avec une complexité limitée, et donc apporter une nouvelle protection à ces ressources souvent non-couvertes par les dispositifs classiques.
Des cas d’usage bien spécifiques
Si la Deceptive Security permet de détecter certaines attaques classiques (malwares, scans…), le réel intérêt de ce type de solution n’est pas là, ces menaces pouvant être adressées plus efficacement par les dispositifs existants (antivirus…).
Le meilleur cas d’usage de la Deceptive Security est la détection des tentatives d’explorations fines et d’installation au sein du réseau, permettant ainsi -quand le niveau de sophistication des miettes est suffisamment important- de détecter certaines APT. Plus généralement, ce type de solution permet de détecter les mouvements latéraux au sein du réseau, et ce même avec un niveau limité de personnalisation des miettes.
Ce type de dispositif n’est donc pas destiné à remplacer les mesures existantes, mais peut agir comme complément, dans le but de détecter ces types de menaces échappant communément aux dispositifs classiques.
Et pour la suite ?
Concernant l’évolution de ces solutions, certains travaux cherchent à appliquer ce principe (déguiser les leurres en environnements de production) … mais dans l’autre sens ! En faisant passer les environnements de production pour des leurres, cette démarche à contrepied permettrait d’éviter à ces ressources d’être ciblées par les attaquants !
Les éditeurs
Une liste -non exhaustive- d’éditeurs de solution de Deceptive Security est renseignée à titre indicatif ci-dessous.