Garantir le respect de la vie privée dans un monde numérique nécessite non seulement d’intégrer cette notion dans chaque projet, mais aussi et surtout de mettre en place une culture à l’échelle de l’entreprise, démarque qui facilitera d’autant plus la mise en conformité aux nouvelles réglementations dans les pays concernés.
Décryptage dans le domaine des ressources humaines, avec le témoignage de Jean-Christophe Procot et Hervé Commerly, expert Ressources Humaines chez Wavestone.
Ce billet de blog fait partie d’une série d’articles issue d’une synthèse sur la vie privée à l’ère numérique publiée sur notre site web.
Comment est perçue la notion de vie privée entre les collaborateurs et leur employeur ?
C’est une notion qui a très fortement évolué ces dernières années. Pour l’employeur, la vie privée de son collaborateur est le plus souvent le temps qu’il ne consacre pas à son travail. Pour l’employé,la notion de vie privée se conjugue également avec la souplesse dans les conditions de travail (fluctuation des horaires, diminution du contrôle, télétravail) et une limite dans les informations dont l’employeur dispose sur lui. Sur la base de sa conception de la vie privée, et pour améliorer celle de ses collaborateurs, l’employeur a de plus en plus cherché à assister ses collaborateurs dans leur vie quotidienne grâce à la mise en place de divers services : services de pressing, crèche et restaurant d’entreprise,assurances complémentaires, etc. Mais cette assistance nécessite que l’employeur connaisse de plus en plus d’éléments sur la vie privée du collaborateur : composition familiale, habitudes alimentaires en période de fête religieuse, etc.
Qu’est-ce qui explique cette réticence ?
Il faut comprendre que l’employeur souhaite de plus en plus collecter des données pour améliorer la connaissance de ses collaborateurs. Il souhaite les conserver plus longtemps, catégoriser les collaborateurs,automatiser ou faciliter des prises de décisions et mieux piloter la performance. L’employeur recherche d’ailleurs de plus en plus de données non communiquées directement par le collaborateur mais collectées auprès de tiers : réseaux sociaux,précédents employeurs, managers, don-nées issues des outils de travail, etc. L’employé, comme le client, s’inquiète de cette évolution car, je dirais presque par définition, l’employé suspecte son employeur de vouloir le surveiller. Le collaborateur se demande alors comment il peut conserver la maîtrise sur sa vie privée si son employeur collecte toutes ces informations, si celles-ci ne proviennent pas nécessairement de lui et de son choix assumé de les communiquer et si son employeur les corrèle entre elles pour prendre des décisions dont il n’a pas conscience.
Un projet récent fait-il directement échos à ces inquiétudes ?
Le projet du gouvernement français d’introduction d’un impôt prélevé à la source (c’est-à-dire sur le salaire du collaborateur par l’employeur) est un bon exemple. Cette évolution vise à simplifier la vie des citoyens en évitant les paiements différés qui peuvent produire des situations difficiles (par exemple, une baisse de revenus ne permettant plus de payer l’impôt de l’année précédente) et améliorer le recouvrement des impôts pour l’État (l’employeur étant perçu comme plus fiable pour collecter l’impôt). Pour autant, des citoyens ont rapidement exprimé des inquiétudes vis-à-vis des informations que leur employeur pouvait apprendre sur eux. Une déclaration d’impôts peut comporter de nombreuses informations sur la vie privée : situation maritale, enfants, revenus annexes, assistance de personnes en difficultés, dons, etc. L’objectif est donc de s’assurer que la finalité des données communiquées sera limitée au prélèvement des impôts et que l’accès à ces données sera bien encadré. L’employé souhaite s’assurer que ses données ne seront pas utilisées à d’autres fins, par exemple faire varier ses augmentations par rapport à un collègue au regard de ses autres revenus.
Et quelles évolutions émergentes en matière de gestion des ressources humaines vont-elles avoir un impact sur la protection des données personnelles ?
Plusieurs tendances majeures se dégagent :
- L’arrivée du big data ans les activités de recrutement, en particulier de sourcing, qu’il convient d’encadrer en s’assurant de notre légitimité à collecter ces données ;
- La multiplication du décisionnel pour la gestion des carrières (constitution d’arbres de succession ou identification des key people par exemple)avec des prises de décisions automatisées, sujet sur lequel le régulateur est assez sensible ;
- La mobilité avec l’introduction de plus en plus fréquente de nouveaux terminaux mobiles professionnels,ne facilitant pas la séparation entre la donnée produite dans un cadre privé et celle produite dans un cadre professionnel. La question du « droit à la déconnexion » est également régulièrement posée.