La défense active est un concept visant à établir une stratégie de défense permettant de réduire voire stopper les attaques sans se limiter à subir sur le périmètre de son propre SI. Les actions de réponse active peuvent prendre la forme de mesures interagissant avec l’attaquant pour leurrer ou collecter des informations sur celui-ci, et pourrait aller, (même si cela est sujet à controverses et se situe dans une zone grise juridique) jusqu’à contre-attaquer pour piéger les attaquants.
Un besoin de défense active …
Aujourd’hui, des attaques de plus en plus sophistiquées touchent tous les secteurs d’activité et ciblent des organisations spécifiques en utilisant des techniques toujours plus complexes. Ces attaques visent à contourner le périmètre de défense existant, mais également à persister sur le SI cible sans déclencher immédiatement l’attaque. Ainsi, l’attaquant améliore sa connaissance de la cible depuis l’intérieur pour lancer ensuite une attaque aux conséquences importantes pour les métiers (vols de données, destruction du SI, usurpation d’identité…).
L’exemple le plus marquant reste l’attaque Carbanak/Anunak, qui a visé plus d’une centaine d’établissements bancaires. Les attaquants se sont introduits discrètement dans le système via du spear phishing (mail malveillant ciblé et personnalisé) puis une série de rebonds. Ils s’y sont ensuite maintenus sur le long terme, observant patiemment les actions des opérateurs bancaires pendant plus d’un mois et demi. Les systèmes de surveillance des banques n’ont pas repéré les traces de persistance laissées par les attaquants, qui ont veillé à rester en dessous des seuils de détection. Une fois les procédures internes des banques identifiées, les attaquants ont pu détourner lentement mais sûrement plusieurs dizaines de millions de dollars.
Les stratégies traditionnelles de défense passive inspirées du modèle du château fort, c’est à dire visant à se protéger (fermeture des flux, antivirus, IPS, etc.), ne suffisent plus à elles seules, et ne sont pas adaptées pour répondre à ce type de menaces.
Il est ainsi devenu nécessaire d’accepter le caractère inévitable de l’intrusion et se préparer à y faire face. Dans cette optique, la défense active vise à détecter puis réduire l’efficacité ou supprimer une attaque.
… pour 3 niveaux d’intervention
En fonction de la portée des moyens utilisés par l’attaquant, on peut identifier plusieurs niveaux de réponse active :
1) Répondre avec les moyens propres de l’entreprise
Les actions de réponse active visent ici à tromper l’attaquant ou encore le désinformer et collecter des informations sur ses méthodes.
Dans un premier temps, pour analyser les actions des attaquants de façon proactive on pourra utiliser des serveurs honeypot, qui simulent des serveurs d’importance accessibles afin d’y attirer les attaquants et de les surveiller, ou encore des clients honeypot, des clients volontairement vulnérables pour détecter les tentatives d’attaques telles que le waterholing ou le drivebydownload en les faisant naviguer sur les sites visités par les collaborateurs de l’entreprise.
Dans un second temps, pour duper et/ou ralentir l’attaquant on pourra renvoyer de fausses informations sur le système d’exploitation lorsque l’attaquant lance des scans, ou encore simuler de faux services (en utilisant Portspoof par exemple pour simuler des ports ouverts et des services factices capables d’interagir avec l’attaquant).
L’augmentation du temps de réponse de certains services par l’utilisation de techniques de type « tarpit » (seau de goudron) permet de gêner l’attaquant sans impacter les utilisateurs légitimes. De plus, on peut réduire la fenêtre d’attaque en restaurant régulièrement les serveurs web dans un état propre connu (SCIT server) de sorte à réduire la fenêtre de temps durant laquelle l’attaquant peut compromettre le serveur.
Dans le but d’épuiser les ressources et la motivation de l’attaquant, on pourra le tromper avec de fausses vulnérabilités sur un serveur web. Enfin, bloquer les adresses IP tentant d’appeler des ports inhabituels (Artillery) jugulera ses manœuvres d’expansion dans le réseau.
La défense active permet ainsi de comprendre les attaques, de les ralentir et d’épuiser les ressources de l’attaquant. Les informations ainsi obtenues permettent d’adapter et d’optimiser les moyens de défense traditionnels pour bloquer les attaques plus efficacement.
2) Intervenir sur les moyens entre la cible et l’attaquant
Dans la chaîne de communication utilisée par les attaquants se trouvent un certain nombre d’acteurs : des FAI, des tiers compromis par l’attaquant, des hébergeurs, des noms de domaines malveillants, etc.
Il est possible d’intervenir sur les moyens intermédiaires utilisés par l’attaquant pour juguler l’attaque, en prenant contact avec les acteurs en charge de ces moyens. On pourra par exemple contacter les FAI en cas d’attaque DDoS, pour filtrer le trafic avant l’arrivée sur le SI de l’entreprise ou encore faire saisir les noms de domaines par décision de justice (par exemple pour démanteler un botnet).
On pourra également contacter un hébergeur pour faire fermer un site malveillant ou faire disparaitre le trafic en amont avec du DNS Sinkholing (faire pointer le trafic malveillant vers un domaine inexistant).
Ces actions permettent à la fois d’obtenir des informations de façon indirecte sur l’attaquant (compte utilisé pour acheter un nom de domaine malveillant, etc.) mais aussi de le ralentir et de le contrarier dans ses plans. De plus, elles doivent être anticipées – si possible – en créant des réseaux de contacts auprès des principaux fournisseurs ou équipes de réponse à incident, en particulier pour pouvoir agir rapidement à l’étranger.
3) Contre-attaquer directement chez l’attaquant
Il est à noter que ce type de réponse est identifié comme illégal en France par la loi Godfrain de 1988 et plus particulièrement par les articles 323-1 et suivant du Code pénal traitant des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données.
Il est cependant intéressant de mentionner ces méthodes car elles peuvent être utilisées par d’autres pays où elles sont autorisées mais également par les forces de l’ordre dans un certain nombre de cas bien particuliers.
On peut distinguer deux types de réponse dans ce troisième niveau :
- les actions de réponse visant à recueillir des informations sur l’attaquant ;
- les actions de réponse visant à rendre inopérant les systèmes d’attaque directement chez le cybercriminel.
Dans le premier type de réponse on pourra mentionner l’envoi de fichiers « piégés », des fichiers balisés, capables de renvoyer un beacon dès lors que celui-ci est ouvert/copié dans un endroit inhabituel ou utiliser des failles de sécurité chez l’attaquant pour prendre le contrôle du serveur de commande et de contrôle (C&C) et identifier les données exfiltrées.
Dans le second type de réponse on peut penser à injecter du code malveillant dans un fichier exfiltré par l’attaquant et par la suite détruire logiquement ses systèmes, ou encore tenter de viser sa bande passante par un DoS ciblé. Finalement on peut envisager autant de scénarios que de canaux d’attaques.
Ces méthodes doivent être manipulées par les autorités compétentes afin de se conformer aux exigences légales.
Pour conclure, les mesures de défense active ne se résument pas uniquement à contre-attaquer directement mais bien à se doter de moyens permettant de mieux comprendre, détecter et réagir aux attaques. En complément des stratégies traditionnelles de défense, l’importance de la réponse active se révèle aujourd’hui un sujet en plein développement dans les équipes de réponse à incident les plus avancées. Le paradigme à garder en tête reste inchangé : toujours avoir un coup d’avance !