Ce sujet bien connu du monde de l’assurance est à nouveau passé sur les bancs de l’Assemblée Nationale en 2014. La déshérence des contrats d’assurance mais aussi des comptes bancaires inactifs représente une manne financière importante pour les acteurs du marché et un manque à gagner important pour l’Etat. Eu égard aux nombreuses publications officielles et condamnations observées ces derniers mois, l’intérêt des pouvoirs publics pour ce sujet est manifeste. Comment les assureurs doivent-ils réagir ?
Qu’est-ce que la déshérence ?
Le preneur de risque assure la vie d’une personne dans plusieurs domaines de l’assurance. Prenons le cas des assurances collectives par exemple : un salarié couvert par son contrat collectif est assuré sur les risques lourds (décès, incapacité et invalidité) ; si le risque décès vient à se réaliser et que son contrat le protège toujours, il est prévu le versement de capitaux décès à un bénéficiaire désigné par une clause contractuelle. La majorité des contrats prévoient deux types de clauses : une clause bénéficiaire libre, dans laquelle le salarié a identifié clairement le bénéficiaire des capitaux en cas de survenance du risque, une clause type, qui énonce dans l’ordre les bénéficiaires (ascendants directs) si la clause bénéficiaire n’était pas renseignée.
L’information du salarié est notamment faite lors de son arrivée dans l’entreprise, dans le cadre de la souscription à la police d’assurance de la société.
Il arrive dans de nombreux cas que les bénéficiaires ne puissent être clairement identifiés car le niveau de détail donné par le salarié est faible. Dans ce cas les capitaux sont conservés par le preneur de risque : c’est la déshérence.
Côté assurance individuelle, même principe dans le cas de l’assurance-vie. Les capitaux versés le sont sous deux formes : rente viagère pour l’assuré en cas de vie au terme du contrat, capitaux décès aux bénéficiaires en cas de décès avant l’échéance du terme.
Un parcours juridique complexe
Le parcours juridique de la déshérence est riche, à commencer par la loi du 15 décembre 2005 qui introduit le droit à être informé de l’existence d’une assurance-vie souscrite pour son bénéfice. La loi imposait aux sociétés détentrices de ces polices de procéder aux recherches nécessaires et à l’information du bénéficiaire. Elle créait aussi l’AGIRA, Association pour la Gestion des Informations sur le Risque en Assurance, qui centralise les bases clients de l’ensemble des assureurs français.
La loi de décembre 2007 contraignait les entreprises d’assurance à s’informer du décès de leurs clients. Pour ce faire, l’arrêté du 21 janvier 2009 octroyait à l’AGIRA la possibilité de croiser ses données avec celles du Répertoire National d’Identification des Personnes Physiques (RNIPP) de l’INSEE.
En 2013, une nouvelle règlementation précisait que les recherches de décès éventuels devaient être annuelles et que des rapports de recherches devaient être publiés afin d’apporter la preuve de la réalité des recherches et d’établir les encours en déshérence.
Enfin, le dernier apport juridique datant du 13 juin 2014, affinait les règles relatives à ce butin estimé à 4 milliards d’euros. Les assureurs ne peuvent plus ponctionner des frais liés à la recherche des bénéficiaires dans le capital dû au bénéficiaire ; la revalorisation du capital est effective à taux minimum sans attendre le délai d’une année, au décès de l’assuré et à réception de l’ensemble des papiers du bénéficiaire, le preneur de risque a 15 jours maximum pour le traitement du dossier. A partir de 2015, l’administration fiscale mettra à disposition des entreprises d’assurances les coordonnées d’un bénéficiaire et la profession notariale disposera d’un accès au fichier Ficovie.
Pour finir, notons que si les recherches n’ont pas abouti, c’est à la Caisse des Dépôts et Consignations que reviendront les fonds, et in fine à l’Etat.
De lourdes sanctions financières qui entachent l’image des assureurs
L’année 2014 aura été la plus âpre sur le sujet. En effet, l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution a sanctionné trois grands acteurs du marché de l’assurance pour un total de 100 millions d’euros.
La première double sanction, tombée le 7 avril dernier, a assorti la sanction pécuniaire de 10 millions d’euros d’un blâme. Il était reproché à la société concernée de ne pas avoir respecté les dispositions relatives à la loi du 17 décembre 2007, notamment au sujet de l’absence de revalorisation des capitaux, mais elle a aussi été retoquée pour l’absence de proactivité vis-à-vis de la consultation du registre national d’information sur les décès.
Même sanction (40 millions d’euros) et blâme 7 mois plus tard pour l’un des acteurs majeurs du marché de l’assurance-vie. À nouveau, ce sont les manquements importants à la législation de 2007 et postérieure qui sont reprochés, notamment des errances concernant l’identification des assurés décédés.
Enfin, le 19 décembre 2014, un troisième assureur se retrouvait sur le banc des accusés en recevant pour des motifs similaires un blâme assorti d’une amende de 50 millions d’euros.
La nécessité de se préparer semble donc plus que jamais d’actualité pour les assureurs. Nul doute que les investissements nécessaires seraient probablement inférieurs à une sanction financière et, surtout, à un déficit d’image difficilement quantifiable.
Quelles parades pour les assureurs ?
La chasse à la déshérence risque de se poursuivre et le législateur persistera dans la trajectoire qu’il a empruntée, notamment pour réintégrer cet argent dans les circuits de consommation.
Du côté des particuliers, la communication autour de ce sujet tend à se développer, puisque plusieurs quotidiens ont présenté les démarches à entreprendre auprès de l’AGIRA pour savoir si des capitaux attendent leurs bénéficiaires.
La menace pourrait aussi être transformée en opportunité de communication vers les clients soit en amont soit en aval.
L’action amont ou préventive viserait, en s’appuyant sur des solutions CRM, à sensibiliser le client sur les garanties souscrites et le placerait dans une position d’acteur principal dans la gestion de sa police, en lui offrant la possibilité de mettre à jour son espace adhérent. En complément, un système de relance adossé aux changements de situation du client pourra l’inciter à tenir à jour les informations concernant les bénéficiaires du contrat.
L’action aval ou curative consisterait à informatiser et contrôler automatiquement les stocks de contrats, industrialisant ainsi la reprise des contrats ainsi que des clauses anciennes. Cette reprise de l’antériorité, complexifiée par les fusions passées est en effet indispensable. Les données ainsi collectées et structurées permettraient les analyses requises par le législateur.
Il est clair que les assureurs ne peuvent plus faire l’impasse sur ce sujet qui impacte leur image et détériore la perception de l’assurance par le grand public. L’heure de la riposte a sonné.